21 février 2013
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17:15
Article urbania:
Un de mes collègues québécois m'a récemment demandé pourquoi il y a si peu de couples franco-québécois, alors qu'il y a tant de Françaises et de Français au Québec et que nous partageons le même héritage. Quelques généralisations scandaleuses basées sur mon expérience de quelques années au Québec m'ont amené aux éléments de réponse suivants, qui sont bien sûr très partiels et partiaux. Pour des raisons évidentes, j'aborde principalement les couples consistant d'un Français et d'une Québécoise, et je laisse à d'autres le soin de traiter le cas inverse, voire celui des ménages à trois. Encore une fois, je force le trait pour mieux mettre en lumière les différences.
Tout d'abord, un physique masculin qui plaît en France ne plaît pas forcément au Québec, et inversement. Au Québec, comme en Australie par exemple, le corps lui-même est important. Ainsi, les
Québécoises apprécient particulièrement les hommes « bien bâtis » avec de gros muscles et des tatouages. Par exemple, les sportifs et les « bad boys » sont souvent bien vus. En France, l'image
est avant tout un vecteur de transmission du statut social. Ainsi, même si tous les goûts sont dans la nature, les Françaises (de plus de 22 ans) préféreront plutôt le jeune cadre dynamique avec
une silhouette effilée en costume-cravate. Des muscles trop développés évoqueront plutôt une condition ouvrière ou paysanne.
Ensuite, les femmes québécoises vont largement juger un homme sur des détails qui pourront paraître insignifiants aux yeux d'un Français -- par exemple si ses bottes sont à la mode ou s'il sait
préparer une salade. La raison est simple. En France, il existe de fortes distinctions sociales, et l'éducation supérieure a une influence déterminante sur la vie d'une personne, au-delà même du
parcours professionnel. Les femmes jugent donc surtout les hommes par rapport à leur milieu d'origine et à leurs études. Au Québec au contraire, où tout le monde ou presque fait partie d'une
vaste « classe moyenne » et où les études ne sont pas aussi déterminantes, les femmes jugent les hommes sur d'autres critères, que les Français vont typiquement négliger.
En revanche, s'il y a une chose que les Français ne négligent pas, c'est bien la conversation. En particulier, le second degré est souvent l'élément de base de leur humour. Seul problème : les
Québécoises y sont généralement peu habituées. Nombreuses sont celles qui s'arrêtent au sens littéral, et qui concluent donc (logiquement) que le Français est pour le moins bizarre. C'est
d'autant plus vrai qu'il ne va typiquement pas montrer par ses mots ou ses expressions qu'il opère dans le registre de l'humour.
Par ailleurs, les Français argumentent volontiers. Une joute verbale est séduisante en France. Elle permet à chacun de s'illustrer par ses compétences linguistiques et éristiques, sa culture, son
humour (notamment au deuxième degré, cf. le point ci-dessus), et sa capacité à raisonner. Par ailleurs, un certain conflit est séduisant par le piment qu'il injecte dans la relation et
l'adrénaline qu'il suscite. Au Québec au contraire, le conflit interpersonnel ouvert suscite généralement des réactions de malaise ou de rejet.
Dans le même esprit, les Français se moquent facilement, ce qui leur vaut d'être considérés arrogants. Cela dit, il faut savoir qu'ils se moquent de tout le monde, surtout de leurs proches
(famille, amis), et toujours ouvertement. La personne visée va alors typiquement devoir faire preuve de répartie en trouvant la parade, toujours dans le registre de l'humour. Les moqueries
détendent l'atmosphère et renforcent les liens. Au Québec au contraire, une personne de qui on se moque va souvent se vexer, et se renfermer, voire s'insurger. Pas génial dans une optique de
séduction.
Même le premier contact entre un Français et une Québécoise est souvent délicat. En effet, le processus de séduction opère différemment en France et au Québec. En France, il commence presque
toujours de façon détournée, par exemple par un argument, une moquerie, ou une référence culturelle -- comme expliqué ci-dessus. Cela tend à désorienter les femmes québécoises, qui s'attendent à
une première approche beaucoup plus directe, et sont (bizarrement) surprises de se faire insulter par un inconnu.
La relation de couple elle-même est très différente. Au Québec, on dit souvent que la femme « gère » et « mène » le couple. En France, comme dans les autres pays latins, c'est plutôt l'homme qui
endosse ce rôle. Un homme « dominé » perdrait sa masculinité et son attrait vis-à-vis de la gente féminine. Cela ne veut pas dire que la femme a un rôle secondaire, bien au contraire. Elle peut
avoir une grande influence, et c'est d'ailleurs généralement le cas, mais elle devra se montrer indirecte et subtile. Les apparences importent, en public comme en privé. C'est pourquoi le
caractère plus direct et frontal des Québécoises va avoir tendance à choquer les hommes français. Certains, comme du reste de nombreux hommes latins, seront tout simplement incapables d'être avec
une femme qui mène ouvertement le couple.
Le Code Napoléon de 1804, qui affirmait en substance que l'homme décide en cas de désaccord entre époux, fait maintenant sourire, mais il reflète encore partiellement la mentalité française. Les
femmes françaises savent qu'il n'est pas dans leur intérêt d'aller au conflit direct. Les femmes québécoises s'attendent souvent au contraire à ce que l'homme cède, et n'hésitent donc pas à
s'opposer ouvertement à lui pour régler un différend. De même, j'ai remarqué que les Québécoises vont plus facilement critiquer, voire insulter leur compagnon, ce qu'un Français tolérera
difficilement. La femme québécoise aura donc l'impression de faire face à un mur à l'ego surdimensionné, tandis l'homme français aura l'impression de faire face à une hystérique qui ne l'apprécie
pas voire le méprise. Comprendre et régler cette différence culturelle est probablement le plus gros obstacle auquel sont confrontés ces couples.